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               GESTION DE LA DOULEUR.

Pour agir dessus, on utilise même des molécules chimiques masquant ses manifestations dans le but de la faire taire. Pourtant la douleur, en elle-même, est un signal, un message destiné à nous alerter.  C’est même une fonction vitale,  sans douleur, aucune réaction face au danger. D’ailleurs, les personnes atteintes d’insensibilité congénitale à la douleur (maladie rare mais très grave) ne vivent pas longtemps et se blessent constamment.

En acceptant la douleur, en réaction nous allons rationnaliser nos comportements. Nous pouvons évaluer son origine qui peut être somatique ou psychique, identifier la souffrance et la mémoire qui peuvent la distordre.

La gestion de la douleur est un paramètre essentiel de la performance au même titre que le plaisir. Cette relation entre plaisir et douleur est cruciale pour nous, traileurs, qui recherchons le plaisir en présence de douleur.

La performance est donc un équilibre subtil entre douleur et plaisir qui nous ferait dire : « La douleur était intense mais quel pied ! » plutôt que « J’étais content d’être là mais vraiment j’avais trop mal ». Entre ces deux phrases, ce n’est pas la douleur qui a changée mais l’émotion.

 

Le ressenti de la douleur n’est pas une donnée isolée cartésienne. Il est lié au plaisir ou à la souffrance qui oriente le résultat. Si le plaisir est là, il permet d’attester de son implication dans l’effort. Si le plaisir est insuffisant, la souffrance et la distorsion émotionnelle impose l’arrêt,  l’abandon, la déception.

Les sportifs de haut niveau, capables de supporter les charges d’entraînements répétées, ressentent du plaisir après les épisodes de douleur. Cette relation entre plaisir et douleur est maintenant évaluée et fait même partie des critères de sélection de nombreux organismes chargés de recruter les champions de demain.

Si la douleur nous fait dire « j’ai mal », la souffrance nous fait dire « je suis mal ».

Les épisodes de douleurs répétés engendrent la souffrance qui risque fort de nous rendre la tâche plus compliquée. La souffrance est liée au mental, elle est usante et consommatrice d’énergie.

Elle peut être physique ou psychique sans réelle distinction. A tel point que les souffrances psychiques s’expriment avec des maux du corps : « J’en ai plein le dos », « Ca me coupe les jambes », « Ce truc me prend la tête ». Si notre langage associe les douleurs physiques ou psychiques, c’est que la confusion est grande.

Nous l’avons vu, la douleur peut engendrer du plaisir ou de la souffrance. L’important n’est pas vraiment la douleur en tant que ressenti mais plutôt ce que notre mental en fait. Le mental, la partie la plus évoluée de notre cerveau construit des hypothèses et en fait des réalités qui peuvent être trompeuses. Si on ressent la douleur là où elle est localisée, son origine est incertaine. D’origine physique ou psychique, la douleur est la même. La douleur physique est un signal à considérer pour éviter la blessure. Elle nécessite une adaptation, un changement de rythme, de foulée, de comportement… La douleur fabriquée par notre mental est identique mais elle a été fabriquée par la mémoire d’une blessure, par un état de stress, un sentiment d’impuissance, un manque de confiance en soi etc.

La gestion de l’attention, l’outil de base de la gestion de la douleur.

Nous allons tenter de débusquer une douleur échafaudée par notre esprit en détournant notre attention. Si la douleur est fabriquée mentalement, en nous focalisant dessus nous allons l’entretenir, la faire grandir jusqu’à ce qu’elle envahisse toutes nos pensées. Nous allons choisir de placer volontairement notre attention à l’opposé de notre douleur. Pour cela, nous allons considérer deux champs attentionnels et deux focales. Le premier champ attentionnel est interne. Il comprend tout ce que nous ressentons en nous. Le deuxième est externe. Il représente tout ce qu’il y a à l’extérieur de nous : l’environnement, le temps… Nos deux focales sont opposées. La première est étroite, étroite comme une douleur aigue (champ attentionnel interne à la focale étroite) ou comme le rocher qui surplombe le col au loin (champ externe à la focale étroite). La seconde focale est large, large et diffuse comme une fatigue générale (interne – large) ou comme une ambiance, un paysage (externe – large).

La théorie est un peu pompeuse, passons à la pratique.

Pendant mon record de La Grande Traversée des Alpes (621 km 40.000 D+ en 172h), j’ai utilisé différentes techniques pour gérer les douleurs indissociables de ce type d’effort. 

 

orsque je suis parti de Thonon-les-bains, je ressentais une douleur à l’adducteur (champ attentionnel étroit - interne). L’inquiétude commençait à me gagner et je commençais à me focaliser sur cette douleur. Sur ma gauche, le lac Léman où j’oriente toute mon attention dans toute sa majesté, ses reflets, les montagnes qui déversent inlassablement en lui l’eau de la fonte des neiges… (Champ attentionnel large -externe). La douleur est repartie aussi vite qu’elle est arrivée.

Cette douleur issue de ma mémoire corporelle n’est plus réapparue durant les 600 kilomètres suivants ! La douleur était entretenue mentalement, de manière artificielle, par une construction ou une hypothèse cérébrale.  La douleur ressentie sur un traumatisme récent était accompagnée de la peur de la rechute.  

Douleur persistante : rassurer l’inconscient.

Si malgré le travail de changement de champ attentionnel la douleur revient voire s’intensifie, alors nous allons utiliser une stratégie plus complète stimulant simultanément plusieurs zones cérébrales.

Cette stratégie consiste à donner à cette sensation une apparence matérielle dont on pourra se débarrasser. C’est à chacun de nous de construire cette stratégie en fonction de nos croyances, de notre philosophie.

La Grande Traversée des Alpes, KM 270, une tendinite du releveur s’installe depuis quelques heures. Inconsciemment, je me crispe, mes pensées s’orientent vers cette douleur lancinante qui ne cesse de grandir. Conscient de l’importance, je mets en place une stratégie d’évacuation de la douleur.

Mon protocole est simple. Il vise à visualiser la douleur, à l’isoler et à s’en débarrasser ! En voici les étapes en détail :

  • Je focalise mon attention sur la respiration que je rythme sur mes pas (2 pas, inspire + 2 pas, expire)

  • A l’inspiration, je me remplis d’un pouvoir de couleur rouge

  • A l’expiration, je souffle cette couleur rouge sur mon tendon douloureux

  • Lorsque je visualise mon tendon rouge, j’isole le rouge du tendon

  • Je visualise une plaque rouge, comme colée sur ma peau

  • Je la prends avec la main et la détache minutieusement (gestuelle + image mentale)

  • Je donne cette plaque rouge à un arbre qui saura s’en occuper.

  • Je remercie l’arbre verbalement et avec une caresse.

Voilà comment je me retrouve avec un tendon douloureux qui crépite sans que ce soit gênant pour continuer mon périple jusqu’au kilomètre 415. 

 

Cas extrême : Solliciter l’instinct de survie

Au km 415, lorsqu’on enlève le strappe, je vois ma cheville bleue et enflée. Cette image légitime la douleur qui devient vraiment limitante. Les pensées de lésion irréversible envahissent mon esprit. Je repars dans la nuit et je comprends que la souffrance que je ressens est amplifiée par la mémoire visuelle de ma cheville. Je vais changer de stratégie et utiliser l’imagerie négative.

L’imagerie négative consiste à se placer dans une situation d’urgence où la douleur n’est plus la source principale d’occupation, une situation où l’instinct de survie mobilise l’ensemble des facultés mentales. Avec plus de 100 h de course et seulement 6 h de sommeil, les hallucinations sont très présentes et c’est d’autant plus facile de percevoir l’imaginaire comme une réalité.

Attention c’est un peu dégoutant !

« Je vois les lambeaux de chairs qui pendent de ma jambe, mon pied est arraché, je peux même ressentir les cailloux qui se mêlent à ma chair. Je fuis une horde de loups, je vois leurs yeux qui brillent dans la nuit autour de moi, les loups sont à l’affût ». Le scénario est planté, je ressens une violente poussée d’adrénaline, les frissons me glacent le sang. Mon rythme reprend de la vigueur et la douleur disparait à nouveau. Je sors de mon scénario et m’approche des loups pour constater que ce ne sont que des hallucinations. Je me sens invincible, inaltérable, c’est gagné !

A méditer.

Ce qui fait souffrir, ce n’est finalement pas la douleur mais les conséquences qu’on en imagine. La douleur nous renseigne, nous alerte et finalement nous préserve. Ignorer la douleur est une stratégie hasardeuse pour deux raisons. La première est que si la douleur est provoquée par une pathologie réelle risquant de dégrader durablement notre corps, elle mérite toute notre attention. La deuxième est que si la douleur est ignorée, elle reviendra plus tard d’une manière disproportionnée pour augmenter le signal qui a été ignoré.

Nous avons de multiples possibilités pour gérer la douleur. Cela reste personnel, lié à notre fonctionnement interne et intellectuel. Chacun trouvera des outils de gestion qui ont du sens pour établir les stratégies en relation avec son histoire de vie, ses croyances.

 

Pascal Blanc (Endurance Trails Magazine)

La douleur nous accompagne tout au long de notre vie, du premier au dernier souffle. Elle prend les formes les plus cruelles ou les plus enivrantes pour exister et attirer notre attention.

Dans le sport, elle est un indicateur majuscule, bien plus que la fréquence cardiaque, la vitesse, le rythme, ou encore l’oscillation verticale… Notre perception de la douleur conditionne notre effort, notre performance, notre motivation.

 

Paradoxalement, la douleur est une sensation à laquelle on souhaiterait ne pas être confronté.

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